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La publication judiciaire des décisions de justice

On assiste à une multiplication des demandes de publication en Justice.

Les demandes concernent le traditionnel support papier. On demande alors la publication de la décision à intervenir sur diverses éditions, des éditions professionnelles ou grand public, selon l’objet et la nature du litige.

De plus en plus, les demandes concernent les supports électroniques : sur le site web du défendeur, le site personnel du demandeur, sur la home-page du site en cause ou tout autre site relais.

Les coûts de la publication en ligne sont modiques. C’est peut-être pour cette raison que les Juges semblent l’ordonner plus facilement, même dans le cadre d’une décision à caractère provisoire comme le référé.

Est publiée la décision ou son résumé, ce qui suppose alors un résumé ‘ neutre ‘, afin qu’il emporte l’accord de la partie condamnée à la publication.

La publication est également ordonnée sous astreinte de x Francs par jour de retard, ce qui signifie qu’à défaut de l’exécuter, le défendeur, lors d’une procédure de liquidation d’astreinte, se verra condamné au paiement de l’astreinte multiplié par le nombre de jours de non-publication, sous réserve d’une somme plafond que le Juge aura prévue. (1)

Les demandes de publication concernent essentiellement les procès en contrefaçon (au titre du droit d’auteur ou de la propriété industrielle) et en concurrence déloyale. La partie qui estime que ses droits ‘ privatifs ‘ ont été enfreints entend communiquer sur cette violation afin de réparer le préjudice commercial ou l’image qui a pu lui être porté.

Toutefois, la publication de la décision peut également porter un préjudice difficilement réparable à l’autre partie.

Il a été considéré qu’elle pouvait constituer un dénigrement (2).

 

I LIEN ENTRE LA PUBLICATION ET L’INSTANCE

 

Constitue un dénigrement le fait de faire état des agissements d’un contrefacteur sans décision de Justice (3). La Cour a considéré que le préjudice existait du seul fait de dénigrement, la preuve d’un préjudice propre n’était pas nécessaire.

Peut également être considéré comme un acte de dénigrement une publicité qui irait au-delà des mesures ordonnées (4). Les mesures préparatoires à l’action en contrefaçon, telles que les saisies peuvent également être déloyales si elles cachent des visées publicitaires.

Une publication relative à une instance en cours a pu aussi être qualifiée d’acte déloyal (5). L’information, dans cette affaire, avait été donnée au client d’un concurrent. Le Juge a condamné une partie ayant fait paraître dans la presse un communiqué sur le montant de la demande formulée en Justice à hauteur de 100.000,00 F (15.244,90 €) de dommages et intérêts (6).

En conséquence, sera déloyale la publication entourant la préparation de l’action en Justice ou l’action elle-même, ou encore en dehors de toute action. Les conditions dans lesquelles la publication est ré ‘alise ou la publicité commerciale qui peut l’entourer peut représenter une faute constitutive de dénigrement.

Selon le principe de la publicité des audiences et des décisions, on peut, nous semble-t-il, envisager, aux frais du demandeur, des publications par voie de presse, réalisées sans commentaires polémiques, à la différence de toute communication par tract, annonce ou affiche.

La Cour de Cassation a admis une publicité faite dans des conditions loyales (7) . S’agissant de condamnation envers une personne physique, les initiales seules, au lieu du nom, doivent apparaître, afin de respecter d’autres droits en cause, comme le droit à la protection de la vie privée.

Toute publicité qui serait faite des années après le procès, ou qui serait accompagnée d’un commentaire hostile ou qui serait tronquée est à proscrire.

Dans l’affaire METEOR/MICROLAND (8) , la société MICROLAND avait fait une large publicité de la décision de première instance condamnant la société METEOR pour contrefaçon de logiciel. Le jugement a été infirmé par la Cour en appel. La société MICROLAND a été condamnée à 300.000,00 F de dommages et intérêts pour le communiqué de presse. La Cour a considéré que ‘ MICROLAND en publiant prématurément un communiqué de presse et des circulaires et en donnant en outre une relation tronquée de la teneur du jugement a commis des fautes et aggravé sa responsabilité ‘.

 

II LES ORDONNANCES DE REFERE

 

Il devient fréquent que les ordonnances de référé ordonnent des mesures de publicité. La publicité ne peut alors être considérée comme un acte de concurrence déloyale. Toutefois, il n’est pas certain que l’exécution provisoire vise la publicité si l’ordonnance ne le dispose pas expressément (9) . Il en est parfois expressément autrement (10) .

Il faut donc être particulièrement vigilant sur la rédaction du dispositif en France. La position serait différente aux USA.

Il a été rappelé à plusieurs reprises (11) :

quelles que soient les chances qu’a l’appelante de voir réformer en tout ou en partie le jugement attaqué, la publication de celui-ci au titre de l’exécution provisoire risquerait d’entraîner pour elle des conséquences manifestement excessives, puisque, malgré les possibilités d’obtenir, le cas échéant, une autre publication devant modifier le sens et la portée de la première, cette dernière avait, par son existence même, un effet qui ne pourrait être réellement annulé. ‘.

Plus généralement , il est indispensable d’être précis sur les termes des demandes en Justice ou la rédaction des transactions, et préciser l’emplacement exact du communiqué sur le site, le format du fichier, sa taille, sa forme (l’envoi par lien ou texte…).

 

III QUEL RECOURS ?

 

Par un appel à fin de suspension devant le Premier Président de la Cour d’Appel, ou par une saisine du Juge chargé de la mise en état de la Cour d’Appel saisie de l’Appel, l’intimé pourra demander la suspension de la publication.

Il lui appartiendra de faire la preuve des conséquences manifestement excessives.

Pourrait-il saisir tout autre Juge des référés territorialement compétent sur le fondement d’un trouble manifestement illicite ? Le Tribunal de Grande Instance de STRASBOURG a reconnu ce droit au plaignant (12) .

Le recours peut consister, plutôt qu’une demande de suspension, en une demande exigeant que la mention de l’appel figure (13) .

Toutefois, la qualification des agissements délictueux ne peut s’apprécier qu’à partir de leur commission (14). Il est donc nécessaire de rechercher la date à laquelle l’autre partie a eu connaissance de l’appel interjeté et d’analyser son comportement ultérieur.

De nouvelles demandes en appel à des dommages et intérêts du fait de la publication ne seront pas considérées comme des demandes nouvelles, car elles disposent d’un lien suffisant avec l’objet du litige.

 

 

(1) Affaire CADREMPLOI/KELJOB, Les différentes décisions sont présentées sur le site LEGALIS

(2) CA Paris, 4e Chambre, 03.04.1995, D.1995, IR118, D.1996 som 254

(3) CA Paris, 4e Chambre A, 02.04.1995, Recueil Dalloz Sirey, 1995, 20e cahier, IR

(4) Affaire SIMCA/CITROEN, 1955

(5) CA PARIS 25.04.1989, 4e Chambre, Société BIL c/ Société SYTEC

(6) TGI PARIS, 3e Chambre, 18.04.1994, PIBD n° 57, III.398

(7) Cour de Cassation 29.05.1980

(8) CA PARIS 08.11.1993, 4e Chambre, Expertises, 02.1994 page 079

(9) cf LE DROIT FRANÇAIS DE LA CONCURRENCE DELOYALE, p 100

(10) Affaire YVES SAINT LAURENT/RALPH LAUREN, Tribunal de Commerce de PARIS

18.05.1994, 18e Chambre, PIBD n° 576-III.553, exécution provisoire ‘ sauf sur l’ensemble des

publications ‘.

(11) Cour d’Appel de PARIS, ordonnance du 1er Président, 03.07.1985 ; 05.07.1985 (secrétariat

n° 2986 et 2987)

(12) Affaire WEBVISIO/MEDIAVET, legalis.net

(13) Ordonnance du 1er Président, Cour d’Appel de VERSAILLES, 17.04.1995

(14) Cour de Cassation, 03.03.1987, n° 85.1762

 

Bibliographie complémentaire

  • Lamy Droit économique, n° 684, n° 1689 et suivants
  • Le Droit Français de la Concurrence, PUF 1989, n° 141, J.AZEMA
  • Le Droit de la Propriété Industrielle, Doyen Roubier, SIREY 1952
  • MATHELY P., le Droit Français des Brevets d’Invention, Traité 1, p 538
  • Foyer J, VIVANT M., le Droit des Brevets, p 355