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LOUBOUTIN ou la problématique de la protection de la semelle rouge

Les magazines féminins ou people regorgent d’allusions à la célèbre semelle rouge que possèdent les initiées de la mode. Néanmoins les professionnels de la propriété intellectuelle s’y intéressent aussi de près.

Les actions judiciaires démontrent les difficultés à appréhender, de façon harmonieuse dans le monde, la notion de contrefaçon de marque et les contours et limites de cette protection comparés au concept qui relève de l’idée et donc du librement reproductible.

La Cour d’appel de New-York vient de reconnaître à Christian LOUBOUTIN le droit de déposer la célèbre semelle rouge à titre de marque, contrastant ainsi avec les récentes décisions françaises lui refusant cette protection.

En effet, le 5 septembre 2012, la Cour d’appel de New-York a rendu sa décision dans le procès opposant Christian LOUBOUTIN à Yves SAINT LAURENT.

Estimant qu’en commercialisant une chaussure rouge à semelle rouge, Yves SAINT LAURENT commettait un acte de contrefaçon de marque et un acte de concurrence déloyale, Christian LOUBOUTIN avait engagé une action judiciaire à son encontre. En première instance, le Tribunal de New-York avait toutefois fait droit à Yves SAINT LAURENT au motif que « la couleur ne pouvait pas être une marque déposée dans l’industrie de la mode ».

Mais, pour la première fois depuis le début de la bataille judiciaire engagée par Christian LOUBOUTIN pour protéger ses célèbres semelles rouges, la Cour d’appel de New-York a rendu une décision favorable au célèbre chausseur, mais également à son concurrent.

Ainsi, la Cour d’appel de New-York a-t-elle autorisé à Monsieur LOUBOUTIN « la protection de la marque pour des chaussures d’une couleur contrastant avec des semelles rouges », reconnaissant alors la validité d’une marque de couleur pour un accessoire de mode. Mais la Cour d’appel de New York autorise également Yves SAINT LAURENT à commercialiser des chaussures monochromes, rouges à semelles rouges.

Décision particulièrement fair-play de la part des juges new-yorkais.

Les juges français sont, pour leur part, plus réticents à accorder à Christian LOUBOUTIN la validité d’une marque constituée d’une semelle de couleur rouge.

En effet, dans une affaire opposant Christian LOUBOUTIN à la société ZARA FRANCE, la Cour de Cassation, dans un arrêt rendu le 30 mai 2012, a validé la position de la Cour d’appel de Paris qui avait décidé d’annuler la marque semi-figurative représentant une semelle de couleur rouge .

Selon la Cour d’appel de Paris, ni la forme, ni la couleur de ce signe ne sont déterminées avec suffisamment de clarté, de précision et d’exactitude pour être de nature à lui conférer un caractère distinctif. Les juges considèrent donc que la forme représentée n’apparaît pas immédiatement identifiable comme étant la représentation d’une semelle, cette interprétation ne pouvant venir à l’esprit qu’à la lecture de la mention descriptive que le déposant a jugé utile d’y adjoindre.

En effet, les juges considèrent que la figure déposée ne peut être identifiée comme étant celle d’une semelle et ajoutent, en outre, que si celle-ci était reconnaissable, elle apparaîtrait comme étant imposée par sa fonction ou sa nature et donc serait dépourvue de tout caractère distinctif. Par ailleurs, la couleur de la semelle n’est pas définie par une référence dans le dépôt.

Ainsi, selon les juges de la Cour d’appel de Paris : « Même si l’application de ce concept permet d’attribuer généralement à M. Louboutin la création de souliers féminins sophistiqués munis de semelles de couleur rouge et de les distinguer ainsi des chaussures concurrentes produites par d’autres entreprises, qu’il n’en résulte pas que le signe opposé, tel que précédemment décrit, possède lui-même les propriétés de clarté, d’exactitude, de précision, d’intelligibilité et d’objectivité et le caractère de distinctivité requis pour qu’il puisse être retenu comme une marque valable ».

La Cour considère ainsi que la marque ne remplit pas les critères de représentation graphique et de distinctivité nécessaire pour constituer une marque valide.

C’est donc sur des motifs propres à la validité de la marque que les juges français se sont appuyés pour annuler le dépôt de la marque litigieuse et déclarer Monsieur LOUBOUTIN et sa société irrecevables à agir sur le fondement de la contrefaçon de marque à l’encontre de la société ZARA FRANCE.

Mais c’est sur le terrain de la concurrence déloyale que les juges se montrent davantage sévères. En effet, il apparaît difficile de contester que, dans l’esprit du public, une simple semelle rouge ne soit pas attribuable à un soulier de Monsieur Christian LOUBOUTIN. On ne saurait non plus lui dénier d’avoir acquis, par l’usage et la notoriété, un monopole exclusif.

Pourtant, alors que ce dernier reproche à la société ZARA FRANCE d’avoir commis des actes de concurrence déloyale en commercialisant des chaussures à semelles rouges, les juges se sont basés sur le principe édictant que les idées sont de libre parcours, pour considérer que le fait d’associer une marque avec une semelle de chaussure de couleur rouge de manière systématique constitue uniquement un concept et en déduire que la vente de chaussures à semelles rouges par la société ZARA FRANCE ne constitue pas un acte de concurrence déloyale à l’égard de Christian LOUBOUTIN.

Selon la Cour : « Considérant qu’une telle prétention [avoir le pouvoir d’interdire à quiconque de commercialiser des chaussures munies de semelles de couleur rouge] est manifestement exorbitante ; que la seule circonstance […] que le public averti et la presse spécialisée puissent associer la marque « Christian Louboutin » avec une semelle de couleur rouge ne justifie pas l’appropriation perpétuelle, par la société Christian Louboutin, du concept consistant à munir systématiquement les chaussures pour femmes de semelles de couleur rouge ; qu’il est en effet de principe que les idées sont de libre parcours ».

En outre, les arguments de la société ZARA FRANCE ont fini d’emporter la conviction des juges, en précisant que ZARA ne fait pas un usage systématique des semelles rouges, qu’elle commercialise principalement des vêtements et que pour éviter toute confusion, elle avait pris le soin de frapper le dessous des semelles incriminées de son nom.

Enfin, le risque de confusion est également écarté par le fait que les chaussures de la société ZARA FRANCE ont été mises en vente à un prix dix fois inférieur à celles de Christian LOUBOUTIN.

Ainsi, en France, en dépit de la notoriété des semelles rouges LOUBOUTIN, le créateur ne parvient toujours pas à faire protéger juridiquement sa création, que ce soit sur le terrain du droit des marques ou de la concurrence déloyale et ce, malgré ses efforts de défense de sa marque et l’engagement d’actions judiciaires quasi-systématiques visant à empêcher ses concurrents d’utiliser une telle semelle rouge.

Finalement, d’autres affaires sont à prévoir car Monsieur Christian LOUBOUTIN a récemment procédé à un nouveau dépôt de marque figurative représentant la semelle rouge démontrant plus précisément ce qui est revendiqué au titre de la protection par le droit des marques .

Quant à savoir si celle-ci est suffisamment distinctive, il ne reste plus qu’à guetter la prochaine action judiciaire qu’engagera le célèbre chausseur.

Clémence VANCOSTENOBLE