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La problématique de la copie privée

Le Code de la Propriété Intellectuelle protège toute œuvre de l’esprit dès qu’elle est originale.

Tous les actes d’exploitation entourant cette œuvre sont soumis à l’autorisation préalable de l’auteur. A défaut, ils constituent une violation des droits de l’auteur, et ainsi sont réprimés par le délit de contrefaçon.

A ce titre, la numérisation d’une œuvre peut s’analyser comme un acte de reproduction au sens de l’article L.122-3 du Code de la Propriété Intellectuelle, et donc soumise à l’autorisation de l’auteur.
Les droits d’auteur sont composés de droits patrimoniaux et de droits moraux. Le droit moral de l’auteur lui permet notamment de décider du moment et du mode de communication de son œuvre, au titre de l’article L.121-2 du Code de la Propriété Intellectuelle.

Ainsi, présente un caractère illégal toute divulgation d’une œuvre sans autorisation de l’auteur.

De même, il est généralement admis que chaque nouvelle diffusion est à nouveau soumise à l’autorisation de l’auteur.

Toutefois, ce sont essentiellement les droits patrimoniaux qui font l’objet des violations les plus manifestes, dans un environnement de communication électronique.

Très souvent, les utilisateurs de logiciels P2P (« Peer to Peer ») tentent de justifier leurs actes en invoquant l’existence de l’exception pour copie privée et sa rémunération.

La difficulté relative à l’utilisation de logiciels P2P résulte surtout de la multiplication à l’infini du nombre de copies.

A l’inverse, une numérisation sans mise à disposition de l’œuvre pourrait être régie par l’exception de copie privée prévue à l’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle, si l’œuvre a fait l’objet d’une divulgation préalable de l’auteur, et que la reproduction soit réalisée dans un cadre privé.

En effet, c’est la mise en ligne qui est condamnable, par son utilisation collective.

En parallèle, selon l’IDATE et un sondage réalisé en Avril 2004, plus de 43 millions de fichiers vidéo auraient été téléchargés en 2003, et plus de 6 milliards de fichiers musicaux [1] .

La question de la responsabilité la responsabilité des sociétés éditrices de logiciels P2P a alors été posée.

a) La responsabilité des éditeurs de logiciels P2P

De nombreuses décisions, s’inspirant de l’arrêt BETAMAX du 17 janvier 1984, rendu par la Cour Suprême Américaine, qui avait déclaré que les fabricants de magnétoscopes ne pouvaient être responsables des infractions commises par les utilisateurs de ces magnétoscopes, ont exclu la responsabilité de la société KAZAA, éditrice du logiciel éponyme [2]

Toutefois, la Cour Suprême des Etats-Unis a considéré, le 27 juin 2005, que « celui qui distribue un dispositif avec comme objet de promouvoir son utilisation pour violer le droit d’auteur (…) est responsable des actes de violation qui en résultent du fait des tiers qui utilisent le dispositif, quelles que soient les utilisations légitimes du dispositif. »

Par cette décision, les éditeurs GROKSTER et STREAMCAST ont été condamnés au vu de la promotion qu’ils effectuaient de leurs propres logiciels, incitant au téléchargement de musiques piratées.

Cette décision est à rapprocher de la loi de Confiance pour l’Economie Numérique du 21 juin 2004, et notamment son article 7. Selon cet article, les fournisseurs d’accès qui évoquent, à des fins publicitaires, la possibilité qu’ils offrent de télécharger des fichiers dont ils ne sont pas les fournisseurs, doivent faire figurer sur cette publicité une mention facilement identifiable et lisible rappelant que le piratage nuit à la création artistique.

D’autres responsabilités peuvent intervenir, et notamment celles des prestataires techniques, et, surtout, celles des utilisateurs.

b) La responsabilité des prestataires techniques

L’article 6 de la loi pour la Confiance dans l’Economie Numérique précitée met en place le cadre juridique des responsabilités civile et pénale des fournisseurs d’accès à Internet et des hébergeurs.

Leur responsabilité peut être retenue, et, en premier lieu, celle des hébergeurs, à partir du moment où ils ont eu effectivement connaissance du caractère illicite des pages qu’ils hébergeaient, ou si, dès le moment où ils en ont eu connaissance, ils n’ont pas agi promptement pour retirer ces données ou en rendre l’accès impossible.

Néanmoins, il faut préciser que ces dispositions ne sauraient avoir pour effet d’engager la responsabilité d’un hébergeur qui n’a pas retiré une information dénoncée comme illicite par un tiers, si celle-ci ne présente pas manifestement un tel caractère, ou si son retrait n’a pas été ordonné par un Juge.

c) La responsabilité des utilisateurs

Le TGI de VANNES, par un jugement du 29 avril 2004, a condamné les utilisateurs ayant effectué des téléchargements, et ayant mis à la disposition des internautes des œuvres de l’esprit en violation du droit d’auteur. Il s’agissait de condamnations consécutives à l’utilisation du logiciel de partage de fichiers KAZAA : ont été prononcées des condamnations de peines de prison avec sursis et de dommages et intérêts.

Ces condamnations s’expliquent par l’absence d’application des exceptions pour diffusion privée et copie privée. L’article L.122-5-1 du Code de la Propriété Intellectuelle concerne l’exception au droit d’auteur dans le cadre d’une représentation d’une œuvre dans un cercle de famille.

Si l’on considère que l’utilisation d’un logiciel P2P constitue un acte de représentation, on ne peut considérer que la diffusion est restreinte au cercle familial, même si ce terme ne s’entend pas au sens littéral.

L’article L.122-5 2) du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que l’auteur ne peut interdire les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage du copiste. Cette copie peut être réalisée par un tiers, selon la directive relative à l’harmonisation des droits d’auteur et des droits voisins dans la société de l’information du 22 mai 2001. Or, l’utilisation de logiciels P2P constitue un partage de l’œuvre et la copie ne peut donc plus être considérée comme privée, mais publique.

Ainsi, la mise à disposition par un internaute d’œuvres protégées par le droit d’auteur par le biais d’un réseau P2P constitue un acte de contrefaçon.

Il convient de rappeler également que l’exception de copie privée ne concerne pas les logiciels pour lesquels l’utilisateur dispose d’un droit de copie de sauvegarde, si elle n’a pas été fournie par l’éditeur, ou si ce dernier ne s’en est pas réservé le droit. Ce droit ne peut être exercé que par l’utilisateur bénéficiant d’une licence auprès de l’éditeur.

L’article L.122-6-1 II du Code de la Propriété Intellectuelle dispose que « la personne ayant le droit d’utiliser le logiciel peut faire une copie de sauvegarde lorsque celle-ci est nécessaire pour préserver l’utilisation du logiciel ».

Ainsi, la copie privée est interdite pour les logiciels. C’est sur toute personne mettant en ligne ce contenu illicite, et surtout sur l’utilisateur qui procédera au téléchargement, que pèse la responsabilité de ces actes de contrefaçon.

L’article L.122-5 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoyant la copie privée la considère comme une exception au monopole de l’auteur et non comme un véritable droit.

En d’autres termes, le législateur n’a prévu qu’une simple tolérance.

La Jurisprudence a eu à connaître de la question de la nature de cette exception, simple exception ou tolérance, suite au litige opposant les associations de consommateurs aux éditeurs, face à l’impossibilité matérielle de mettre en œuvre le bénéfice de la copie privée, à cause des mesures techniques de protection intégrées sur les CD et DVD.

A cette occasion, le TGI de PARIS, par une décision du 30 avril 2004, a considéré : « Attendu que le législateur n’a pas ainsi entendu investir quiconque d’un droit de réaliser une copie privée de toute œuvre, mais a organisé les conditions dans lesquelles la copie d’une œuvre échappe (s’agissant notamment de l’article L.122-5) au monopole détenu par les auteurs, consistant dans le droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction de leurs œuvres ».

La Jurisprudence semble hésitante sur le principe de la légalité du seul téléchargement du fichier sur un réseau P2P.

Il a été affirmé par le Tribunal Correctionnel de RODEZ (jugement du 13 octobre 2004), puis la Cour d’Appel de MONTPELLIER (10 mars 2005) que la responsabilité de l’internaute ne pouvait être retenue s’il ne peut être démontré que les copies réalisées ne l’ont pas été en vue d’un usage privé.

Toutefois, il convient de s’interroger sur l’origine du fichier.

Il apparaît que la loi ne fait pas de distinction quant à l’origine de l’œuvre.

Le projet de loi transposant la directive Européenne du 22 mai 2001 fait quant à lui explicitement référence à l’origine licite de la source en son article 8. Le nouvel article L.331-6 du Code de la Propriété Intellectuelle serait ainsi rédigé : « les titulaires de (…) prennent dans un délai raisonnable (…) des mesures qui permettent le bénéfice effectif des exceptions définies aux 2° et 7° de l’article L.122-5 et aux 2° et 6° de l’article L.211-3 dès lors que les personnes bénéficiaires d’une exception ont un accès licite à l’œuvre ».

Dès lors, seules les personnes qui auront eu un accès licite à l’œuvre pourront bénéficier de l’exception de copie privée.

Cependant, cet article ne vise que les œuvres protégées par des mesures techniques de protection.

C’est en ce sens que le Tribunal Correctionnel de PONTOISE a condamné, par décision du 2 février 2005, un internaute auteur de téléchargement. La Cour d’Appel de PARIS, dans un arrêt du 22 avril 2005, a considéré : « que les appelants ont conclu à tort qu’ils bénéficiaient d’un droit à copie privée, dès lors qu’il s’agit d’une exception légale au droit d’auteur, et non à un droit qui serait reconnu de manière absolue à l’usager ».

Cependant, en « interdisant les ayant droits d’utiliser une mesure de protection technique incompatible avec l’exception de copie privée », la Cour d’Appel a admis que le dispositif anti-copie intégré au DVD causait un préjudice à l’utilisateur et l’empêchait de procéder à une copie.

Ces mesures techniques de protection ont été introduites par la directive du 22 mai 2001, sur les droits d’auteur et les droits voisins de la société de l’information (article 6-3).

Ces mesures techniques de protection sont elles-mêmes protégées au même titre que les œuvres qu’elles protègent, à condition qu’elles soient efficaces.

Il peut s’agir du recours à un code d’accès, à un procédé de protection tel que le cryptage, le brouillage, ou toute autre transformation ou mécanisme de contrôle. Il s’agit le plus fréquemment de systèmes anti-copie empêchant la reproduction des œuvres. Il peut s’agir aussi de mécanismes de tatouages permettant l’insertion de manière imperceptible d’informations, sous forme d’une empreinte, d’un filigrane ou d’un tatouage.

d) L’appréciation par les Juges des mesures techniques de protection

Le TGI de NANTERRE, dans un jugement du 24 juin 2003, a sanctionné, sur le fondement de l’article 213-1 du Code de la Consommation la mesure de protection rendant impossible la lecture de CD sur des ordinateurs et des auto-radios, pour cause de tromperie. Le Tribunal a exigé de la part de l’éditeur de faire figurer une telle mention sur le CD, de type : « Ne peut être lu sur tout lecteur ou auto-radio ».

Un jugement rendu le 2 septembre 2003 a condamné le mécanisme de protection rendant impossible les copies d’un CD sur un auto-radio, sur le fondement de l’article 1641 du Code Civil, comme constituant une restriction à son usage normal, et ainsi un vice caché. Par cette décision, les Juges ont considéré que la mesure technique de protection était licite si l’acheteur se trouvait prévenu.

Ainsi, les éditeurs ont à leur charge une obligation d’information sur les restrictions d’utilisation et les caractéristiques essentielles du produit commercialisé.

L’action des associations de consommateurs a été retenue, et en ce sens, l’intérêt collectif reconnu.

Par la décision de la Cour d’Appel de PARIS du 22 avril 2005, les Magistrats font interdiction d’utiliser une mesure technique de protection incompatible avec l’exception de copie privée.

Le projet de loi de transposition de la directive crée un nouvel organe, un collège de médiateurs, qui sera chargé du règlement des différends portant sur une mesure de protection technique empêchant l’exercice des exceptions, et composé de trois personnalités qualifiées nommées par décret.

Ce collège sera compétent pour statuer sur l’ensemble des différends portant sur l’impossibilité de bénéficier de l’exception pour copie privée, à cause d’une mesure technique de protection.

Dans le cas où une solution de compromis serait trouvée, le collège dressera alors un procès-verbal de conciliation qui aura force exécutoire entre les parties. En cas d’absence de conciliation, le collège pourra rejeter la demande ou décider de toute injonction nécessaire.

Une voie de recours est instaurée devant la Cour d’Appel de PARIS. Pour admettre l’exception, celle-ci ne doit ni porter atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre, ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur.

Par ce projet de loi, le contournement de toute mesure technique efficace de protection devient un délit pénal, tant pour les actes de contournement que pour les actes préparatoires, ou les actes de diffusion. Ces actes doivent avoir été commis « en connaissance de cause ».

Or, les mesures techniques de protection peuvent empêcher la copie privée. Le considérant 39 de la directive prévoit que les exceptions comme celle de la copie privée « ne doivent faire obstacle ni à l’utilisation de mesures techniques, ni à la répression de tout acte de contournement ».

En conséquence, il semble nécessaire de distinguer la copie ayant vocation à transférer, pour un usage privé, le contenu sur un autre support, et le téléchargement d’une œuvre à partir d’un réseau P2P.

On peut toutefois s’interroger sur le versement d’une rémunération pour copie privée, qui a été étendu le 10 mai 2005, par la Commission BUISSON, aux supports hybrides, c’est-à-dire non nécessairement destinés à des fins de copie privée.

e) Principe de la rémunération pour copie privée

Cette rémunération pour copie privée a été instaurée par la loi LANG du 3 juillet 1985. Il s’agissait d’instaurer un mécanisme de dédommagement des ayants droits du préjudice subi par l’utilisation des premiers appareils de reproduction analogique grand public. Il s’agit de compenser les pertes provoquées par la copie privée, mais non celles causées par des copies illicites.

f) Répression

Toute personne reproduisant ou diffusant une œuvre sans autorisation peut être poursuivie sur le fondement de la contrefaçon.

L’article L.335-3 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit « qu’est également un délit de contrefaçon toute reproduction, représentation ou diffusion, par quelque moyen que ce soit, d’une œuvre de l’esprit en violation des droits de l’auteur ».

La loi du 9 mars 2004 portant adaptation de la Justice aux évolutions de la criminalité, dite loi PERBEN II, a augmenté les peines encourues, passées de 2 à 3 ans d’emprisonnement et de 150 000 à 300 000 Euros d’amende.

[1] Source IDATE – Profits du P2P 2005

[2] Cour d’Appel d’Amsterdam, 28 mars 2002, Cour du District Central de Californie, 25 avril 2003, à propos des logiciels MORPHEUS et GROKSTER – Cour d’Appel de LOS ANGELES, 19 août 2004

19/09/2005 – Blandine Poidevin