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La difficulté pour un salarié de faire reconnaître ses droits d’auteur

La question de la titularité des droits d’auteur sur les créations de salariés est toujours au cœur de l’actualité judiciaire.

Rappelons que l’existence d’un contrat de travail ne fait pas obstacle aux règles posées par le Code de la propriété intellectuelle (CPI) dans son article L111-1, en vertu desquelles l’œuvre créée par un salarié lui appartient en principe.

Seules les œuvres logicielles ou les œuvres collectives échappent à ce principe.

Est dite collective, en application de l’article L113-2 du Code de la propriété intellectuelle, « l’œuvre créée sur l’initiative d’une personne physique ou morale qui l’édite, la publie et la divulgue sous sa direction et son nom et dans laquelle la contribution personnelle des divers auteurs participant à son élaboration se fond dans l’ensemble en vue duquel elle est conçue, sans qu’il soit possible d’attribuer à chacun d’eux un droit distinct sur l’ensemble réalisé ».

L’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée, cette personne étant investie des droits d’auteur.

Dans ce contexte, la tentation est grande, pour les entreprises de créer les conditions favorables à la qualification des œuvres créées par leurs salariés en œuvres collectives.

La Cour de cassation a eu l’occasion de se prononcer dans un litige opposant une salariée travaillant, en qualité de directrice artistique, au sein de la société Lalique SA, spécialisée dans la création, la fabrication et la vente de pièces en cristal, à son employeur[1].

A la suite de son licenciement, la salariée avait engagé, devant le Tribunal de grande instance, une action en contrefaçon des droits d’auteur dont elle prétendait être titulaire sur divers objets commercialisés par la société Lalique.

La demanderesse soutenait être l’auteur ab initio des œuvres réalisées dans le cadre de ses missions et rappelait que, conformément aux dispositions prévues à l’article L131-3 du Code de la propriété intellectuelle, la transmission des droits d’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans un acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendu et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée.

Elle précisait qu’elle avait, durant toutes ces années au sein de l’effectif de la société Lalique, supervisé l’intégralité du processus de création et de fabrication des objets concernés, qu’elle avait l’entière maîtrise du processus de création et de fabrication des œuvres, la direction générale de l’entreprise n’ayant qu’un simple droit de véto sur le résultat du travail fourni.

Elle en concluait être titulaire des droits d’auteur sur les œuvres réalisées, en précisant que les différents corps de métier intervenant dans la création des œuvres, tels que les intérioristes, les souffleurs de verre, les sculpteurs ou encore les graveurs sur cristal, disposaient de missions parfaitement identifiées, excluant toute confusion des apports de chacun d’entre eux dans la réalisation des œuvres et, partant, la qualification d’œuvre collective.

Elle n’a pas été suivie par la Cour de cassation qui a relevé que Marie-Claude LALIQUE, directrice de création de la Maison, dessinait les pièces maîtresses des collections et en fixait les thèmes à partir de ses carnets de voyage dont le bureau de création s’inspirait pour compléter les collections, et que chaque dessin et chaque maquette étaient soumis à son approbation.

La salariée recevait ainsi, lors des réunions de création, des instructions esthétiques.

La Cour retient également que la participation des divers corps de métiers dans la réalisation des œuvres ne relevait pas de la simple exécution.

En conséquence, la Cour suprême a estimé que la salariée ne définissait pas les choix esthétiques de l’entreprise, ne jouissait pas d’une liberté de création telle qu’elle lui aurait permis de prétendre être titulaire des droits d’auteur sur les œuvres réalisées.

Elle la déboute ainsi de ses prétentions, apportant un éclairage intéressant sur les relations entre employeurs et employés relativement à la propriété des œuvres protégeables par le droit d’auteur créées dans le cadre de missions salariées.

Cette nouvelle décision est l’occasion de rappeler que ce type d’œuvres, soumises à des contraintes tenant au respect du style et des codes de l’entreprise et au titre desquelles interviennent plusieurs personnes dans l’élaboration, échappent rarement à la propriété de la personne morale qui les exploite et les diffuse sous son nom.

Cette affaire fait écho à une affaire similaire ayant opposé le joaillier Van Cleef & Arpels à un salarié à l’origine des dessins servant d’éléments préparatoires à la conception de bijoux.

La Cour de cassation avait retenu que la création desdits bijoux « procédait d’un travail collectif associant de nombreuses personnes, que la société avait le pouvoir d’initiative sur la création et en contrôlait le processus jusqu’au produit finalisé en fournissant à l’équipe des directives et des instructions esthétiques afin d’harmoniser les différentes contribution et que celles-ci se fondaient dans l’ensemble en vue duquel elles étaient conçues, sans qu’il soit possible d’attribuer à chaque intervenant un droit distinct sur les modèles réalisés ».[2]

[1] Ccass. Ch. Soc. 22/09/2015. N° 13-18803

[2] Ccass. 1ère Ch. Civ. 19/12/2013. N° 12-26.409