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Les contours du droit 'sui generis' des bases de données : les arrêts de la CJCE du 9 novembre 2004

Quatre arrêts ont été rendus le même jour par la Grande Chambre de la CJCE, concernant l’application du droit sui generis à la diffusion, pour trois d’entre eux, des calendriers de Championnats de Football, des jeux de paris, et, pour le quatrième, une base de données hippiques sur Internet.[1]

Ces arrêts interviennent dans un contexte où chacun d’entre nous constate l’augmentation exponentielle du volume des données générées et traitées chaque année, quel que soit le secteur d’activité.

L’apport de ces décisions semble essentiel, à un moment où se multiplient les sources d’informations, et les intermédiaires susceptibles de les relayer.

En effet, la protection sui generis accordée au fabricant de la base de données constitue souvent l’unique revendication que ce dernier peut mettre en avant pour protéger une base de données, dont le contenu, en lui-même, n’est pas protégeable au titre du droit de la
Propriété Intellectuelle, et dont la mise à disposition ou structure reste commune.

Cette protection avait pour finalité d’encourager aux développements des systèmes de stockage et de traitement de l’information, en instaurant une protection des efforts de constitution de la base de données.

Sur les quatre arrêts précités, la majorité des questions posées concernaient le champ d’application et la portée du droit sui generis de l’article 7 de la Directive.


Il convient de rappeler préalablement les conditions de recevabilité d’un recours devant la CJCE. Les conditions de recevabilité ont été évoquées dans le cadre de l’affaire C-46/02, opposant FIXTURES MARKETING Ltd à OY VEIKKAUS Ab.


La validité d’un recours préjudiciel nécessite une motivation sur le cadre factuel et réglementaire des questions posées. Il appartient à la Juridiction de renvoi d’exposer les hypothèses factuelles sur lesquelles les questions sont fondées.[2]

En effet, les questions posées doivent également permettre aux Gouvernements des Etats membres et aux parties intéressées de présenter leurs observations.[3]


Ainsi, la CJCE ne peut statuer que si l’ordonnance de renvoi lui a permis de comprendre suffisamment la naissance du litige principal, le contexte factuel et les questions posées.

  • Rappel des dispositions de la Directive du 11 mars 1996, n° 96/9

La Directive 96/9/CE du Parlement Européen et du Conseil, du 11 mars 1996, a instauré une protection juridique spécifique aux bases de données.[4]

Est entendue par cette Directive comme base de données :


« un recueil d’œuvres, de données, d’autres éléments indépendants, disposé de manière systématique ou méthodique et individuellement accessible par des moyens électroniques ou d’une autre manière’.

Si cette base de données peut être protégée par le droit d’auteur, grâce au choix ou à la disposition des matières, l’apport des arrêts précités concerne le droit sui generis instauré à l’article 7 de la Directive, selon lequel le fabricant d’une base de données dispose du droit :

d’interdire l’extraction et/ou la réutilisation de la totalité ou d’une partie substantielle, évaluée de façon qualitative ou quantitative, du contenu de celle-ci, lorsque l’obtention, la vérification ou la présentation de ce contenu attestent un investissement substantiel du point de vue qualitatif ou quantitatif’.

Cette Directive a été transposée en droit interne par la loi du 1er juillet 1998.

La CJCE a, par ces décisions, défini les contours de l’article 7.

  • Premier apport : sur la notion de bases de données

Dans l’affaire C-444/02, opposant FIXTURES MARKETING LTD à OPAP, la CJCE a rappelé qu’il fallait entendre la notion de base de données comme une notion de portée ‘large, affranchie de considérations d’ordre formel, technique ou matériel. Ces bases de données peuvent être sous forme électronique ou non‘.

Ainsi, des données ou éléments de nature sportive, même informatifs, peuvent bénéficier de cette protection.

Peu importe également que la base de données soit constituée d’éléments provenant d’une ou plusieurs sources, ou encore qu’elle provienne de la personne qui constitue la base de données.

La CJCE insiste sur le fait qu’une base de données est caractérisée par des moyens permettant de retrouver en son sein les données, à la différence d’une connexion d’éléments dépourvue de tout moyen de traitement des éléments individuels qui la composent.

Ainsi, la CJCE a considéré qu’un calendrier de rencontre de football pouvait constituer une base de données, au sens de la Directive 96/9 :

‘La notion de base de données (…) vise tout recueil comprenant des œuvres, des données ou d’autres éléments, séparables les uns des autres, sans que la valeur de leur contenu s’en trouve affectée, et comportant une méthode ou un système, de quelque nature que ce soit, permettant de retrouver chacun de ces éléments constitutifs d’accélérer le traitement à l’information (…)’.

En ce sens, un calendrier de championnats de football peut constituer une base de données dans la mesure où, si les éléments sont indépendants, la disposition de ces différents éléments d’une certaine manière, ainsi que leur accessibilité individuelle, entrent dans le cadre de la définition de l’article 1er § 2 de la Directive :

‘Si, certes, l’intérêt d’un championnat de football réside dans la prise en compte globale des différentes rencontres de ce championnats, il n’en demeure pas moins que les données relatives à la date, à l’horaire et à l’identité des équipes ayant trait à une rencontre déterminée revêtent une valeur autonome, en ce qu’elles fournissent aux tiers intéressés des informations pertinentes.’

C’est la valeur autonome de l’information qui détermine la qualité de base de données.

§ Deuxième apport : la notion d’investissement

L’investissement est le critère déterminant de la protection.

1. Au regard des informations réunies

S’il a été déterminé dans le cadre de l’affaire précédemment citée, que l’investissement peut être à l’origine des données contenues dans la base, l’investissement doit être substantiel.

Les Ligues professionnelles de football avaient fait valoir les adaptations nécessaires de leurs calendriers de matchs, liées par exemple aux exigences des chaînes de télévision ou des reports de matchs. Elles avaient fait part des investissements financiers importants que nécessitait cette activité.

L’investissement relatif aux informations contenues dans la base peut-il être pris en compte pour déterminer le caractère substantiel de l’investissement lié à la réalisation de la base de données ?

La CJCE a répondu par la négative, considérant que la création des éléments contenus dans la base de données ne doit pas être compris dans le sens d’un investissement lié à l’obtention du contenu de la base.

A été pris l’exemple de la compilation de musique sur un CD, qui ne représente pas un investissement substantiel, au sens du droit sui generis, selon le 19e considérant de la Directive. L’investissement lié aux œuvres fixées sur le CD n’est pas pris en considération pour calculer le caractère substantiel de l’investissement de constitution de la base.

2. Au regard de l’exactitude des informations

Il a également été constaté que les Ligues professionnelles de football ne devaient consacrer aucun effort particulier au contrôle de l’exactitude des données relatives aux rencontres des championnats, lors de l’élaboration du calendrier, puisqu’elles sont directement impliquées dans la création de ces données (affaire CE-46-02).

En conséquence, pour apprécier l’investissement lié à la base de données, doivent être pris en compte les investissements concernant la vérification du contenu de la base, ou encore relatifs à la fiabilité de l’information, en contrôlant l’exactitude des éléments recherchés tant au moment de la constitution de la base que pendant son exploitation. Peuvent encore être pris en compte les investissements liés à la présentation du contenu, c’est-à-dire les moyens mis en place pour permettre à la base de données de remplir sa fonction première, qui est l’accès à l’information, par des moyens de classement de l’information ou de mise à disposition des éléments et leur organisation.

Pour chacun de ces investissements, sont pris en compte à la fois les ressources, moyens humains, financiers ou techniques, s’ils sont substantiels d’un point de vue qualitatif ou quantitatif. L’appréciation quantitative fait référence à des moyens chiffrables et l’appréciation qualitative à des efforts non quantifiables, tels qu’un effort intellectuel ou une dépense d’énergie.

Peu importe que la constitution de la base de données soit liée à l’activité principale du fabricant de la base de données.

Toutefois, les investissements, même substantiels, liés à la création du contenu de la base de données, ne peuvent servir à l’appréciation de l’investissement substantiel de la base de données.

‘La notion d’investissement liée à l’obtention du contenu d’une base de données au sens de l’article 7, §1 de la directive, doit s’entendre comme désignant les moyens consacrés à la recherche d’éléments existants et à leur rassemblement dans ladite base. Elle ne comprend pas les moyens mis en œuvre pour la création des éléments constitutifs du contenu d’une base de données.’

S’agissant des trois affaires relatives à l’établissement d’un calendrier de rencontres aux fins d’organisation de championnats de football, la CJCE a considéré que les éléments relatifs à la détermination des dates, des horaires et des paires d’équipes, ne pouvaient être pris en considération pour le calcul de l’investissement substantiel. Au contraire, l’investissement se rapporte à la création des contenus, et non à la création de la base.

Ainsi, la protection ne peut être octroyée que dans l’hypothèse où un investissement spécifique ou autonome est réalisé, en dehors de celui lié à la propre création des données contenues dans le catalogue, lui même substantiel.

3. Nécessité d’un investissement autonome

Seul un investissement autonome peut donc permettre au fabricant d’obtenir une protection.

L’investissement autonome sera déterminé au regard des éléments suivants :

– des efforts liés au contrôle de l’exactitude des données,

– la vérification de l’exactitude du contenu,

– la présentation des données.

Il suffit que l’un de ces éléments revête un caractère substantiel pour justifier du bénéfice de la protection du droit sui generis.

Dans l’affaire C-333/02, opposant FIXTURES MARKETING Ltd à SVENSKA SPEL AB, la CJCE a procédé à l’examen particulier de chacun des trois critères précités, pour déterminer l’existence ou non d’un investissement substantiel.

La CJCE a déterminé en l’espèce que les Ligues professionnelles :

– ne consacraient aucun effort particulier au contrôle de l’exactitude des données ;

– que la vérification de l’exactitude des données consistait en de simples adaptations qui ne revêtaient pas d’investissement substantiel ;

– que la présentation venait essentiellement de la création des données et non de la base de données ;

– qu’ainsi, aucun investissement substantiel n’était consacré à la constitution de la base de données.

Selon l’affaire C-203/02, opposant THE BRITISH HORSERACING BOARD Ltd e.a. à WILLIAM HILL ORGANIZATION Ltd, les moyens à déterminer peuvent être tirés du rassemblement des données, de leur agencement systématique ou méthodique au sein de la base de données, de l’organisation de leur accessibilité individuelle et de la vérification de leur exactitude, tant lors de la création qu’en période d’exploitation.

Toutefois, des éléments intervenus dans la phase de création des informations ne peuvent être pris en compte.

‘Les moyens consacrés à l’établissement d’une liste des chevaux participant à une course, et aux opérations de vérification s’inscrivant dans ce cadre, ne correspondent pas à un investissement lié à l’obtention et à la vérification du contenu de la base de données dans laquelle figure cette liste.’

§ Troisième apport : contenu du droit sui generis

S’est posée la question dans l’affaire C-203/02 du contenu de la protection conférée par le droit sui generis.

A ce titre, la CJCE a rappelé que peu importe que l’acte d’extraction poursuive ou non un but commercial. Il faut entendre ‘les actes interdits‘ dans une acceptation large. Elle s’est pour cela référée à l’objectif poursuivi par la Directive, qui vise à protéger l’investissement du fabricant de la base de données.

La CJCE a ainsi considéré qu’était interdit tout acte consistant, respectivement, à s’approprier et à mettre à disposition du public, sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement. Peu importe que les actes d’extraction et de réutilisation ne soient pas opérés directement à partir de la base de données d’origine.

La position contraire aurait pour effet de démunir le fabricant investisseur de toute action, dès qu’une reproduction aurait été réalisée.

De même, les notions d’extraction et de réutilisation ne supposent pas un accès direct à la base de données concernée.

Toutefois, le droit sui generis ne permet pas au titulaire de ce droit de s’opposer à la consultation de cette base par des tiers, si la base a été rendue accessible par lui au public, ou par l’intermédiaire d’un tiers autorisé par lui à la diffuser au public. La CJCE a considéré que les droits du fabricant de la base de données ne s’épuisaient pas à partir du moment où il avait autorisé l’accès au contenu à des fins de consultation.

De même, le droit sui generis ne peut interdire à un utilisateur légitime d’effectuer des extractions ou des réutilisations portant sur des parties non substantielles du contenu d’une base de données. Néanmoins, l’utilisateur légitime (autorisé par le fabricant) peut être empêché d’effectuer des actes d’extraction ou de réutilisation à son tour de la totalité, ou d’une partie substantielle de la base.

‘Les actes d’extraction, à savoir le transfert du contenu d’une base de données sur un autre support, et les actes de réutilisation, à savoir la mise à disposition du public du contenu d’une base de données, qui porte sur la totalité ou sur une partie substantielle du contenu d’une base de données, requièrent l’utilisation de la personne qui a constitué la base, quand bien même celle-ci aurait rendu sa base accessible en tout ou partie au public, ou aurait autorisé un ou des tiers déterminé à diffuser celle-ci au public.’

Dans cette affaire, WILLIAM HILL était contractuellement autorisé à exploiter la base de données, qu’il avait lui-même rendue accessible au public, après son autorisation. Toutefois, il lui était reproché l’intégration de ces données dans son propre système électronique, données alors mises à disposition du public au travers de son site Internet, afin de permettre à ses propres clients de faire des paris sur des courses hippiques.

Il convient de rappeler les exceptions de l’article 9 de la Directive, concernant les extractions à des fins privées de bases de données non électroniques, ou à des fins d’enseignement et de recherche, ou encore à des fins de sécurité publique ou de procédure administrative ou juridictionnelle.

§ Quatrième apport : sur la notion de partie substantielle des données extraites

Dans l’affaire C-203/02, il est rappelé que la notion de partie substantielle doit être caractérisée par rapport au volume des données extrait et/ou réutilisé de la base. Elle doit également être appréciée par rapport au volume du contenu total de celle-ci.

En l’espèce, il a été relevé que les éléments reproduits du site Internet litigieux représentaient une proportion très faible de la taille totale de la base de données initiale. D’un point de vue quantitatif, il a été considéré que les éléments ne constituaient pas une partie substantielle du contenu de la base.

Pour déterminer si les éléments reproduits devaient être considérés comme substantiels d’un point de vue qualitatif, il convient d’examiner les efforts humains, techniques et financiers consentis par la personne qui a constitué la base pour obtenir, vérifier et présenter ses données. Peu importe la valeur intrinsèque même des données.

Cette définition, qui reste subjective, devrait faire l’objet de nouvelles interprétations.

La CJCE rappelle que la valeur intrinsèque des données concernées par l’acte d’extraction et/ou de réutilisation ne constitue pas en soi un critère pertinent pour apprécier le caractère substantiel.

De même, comme rappelé dans les autres affaires précitées, les moyens affectés à la création même des données ne peuvent non plus être pris en compte.

En conclusion, seul un investissement autonome, indépendant de la création de la base de données, et considéré comme substantiel de façon qualitative ou quantitative, peut permettre de considérer que les informations reproduites le sont de façon substantielle.

Il est également rappelé qu’une extraction non substantielle ne peut avoir pour effet par son caractère répété et systématique d’aboutir à reconstituer la base de données dans son ensemble, ou de façon substantielle, sans l’accord du fabricant de la base de données.

‘L’interdiction (…) vise les actes non autorisés d’extraction et/ou de réutilisation qui, par leur effet cumulatif, tendent à reconstituer et/ou à mettre à disposition du public, sans autorisation de la personne qui a constitué la base de données, la totalité ou une partie substantielle du contenu de ladite base, et qui porte ainsi gravement atteinte à l’investissement de cette personne’.

Si les quatre arrêts rendus par la CJCE ce 9 novembre 2004 ont eu pour effet de débouter les demandeurs de protection par la base de données de leurs demandes, ils ont le mérite de nous éclairer sur les critères d’application de ces dispositions.


[1] Ces arrêts sont consultables à l’adresse suivante : http://curia.eu.int

[2] Arrêt du 21 septembre 1999, ALBANY, C-67/96, Recueil page 1-5751.39

[3] Article 20 du statut CE de la Cour de Justice

[4] JOL 77 page 20