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Les perspectives offertes à l'oeuvre multimedia créée par des salariés par l'avis du CPSLA (en date du 7/12/2005)

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique (CSPLA) a, le 7 décembre 2005, rendu un avis n° 2005-1, relatif aux aspects juridiques des œuvres multimédia. Cet avis fait suite aux travaux de sa commission interne qui s’est, durant plus d’un an, penchée sur les différentes problématiques attachées au modèle économique et juridique particulier que constitue ce type d’œuvre.

Constatant les difficultés causées par le régime actuel de l’œuvre multimédia, au regard des enjeux qui lui sont attachés, le Conseil Supérieur formule des propositions tendant à réformer le régime juridique applicable à ce type d’œuvre, sur le plan notamment de la titularité et de la cession des droits y afférents.

En proposant la mise en place d’un régime sui generis pour les œuvres multimédia, le Conseil vient également apporter des solutions aux difficultés soulevées par les créations de salariés.

Si ces solutions ne sont pas nouvelles (elles avait déjà été évoquées dans les travaux de la Commission « Création Salariée » du CSPLA, réunie en 2001, puis reprises dans le rapport HADAS-LEBEL du 1er décembre 2002), elles ouvrent néanmoins, par l’angle réduit de l’œuvre multimédia, des perspectives intéressantes pour l’aménagement d’une cession simplifiée des œuvres créées par des salariés, au profit de l’employeur.

1.Les difficultés posées par le régime actuellement appliqué à l’œuvre multimédia

Le régime juridique aujourd’hui appliqué aux œuvres multimédia relève d’une appréciation des Tribunaux, selon chaque cas d’espèce qui se présente à eux. Le Code de la Propriété Intellectuelle n’ayant pas prévu de dispositions particulières pour ce genre particulier d’œuvre, c’est par référence alternative à la nature de l’œuvre ou à son processus de création que s’établit la qualification juridique de l’œuvre collective.

Cependant, ne relevant tout à fait ni du seul logiciel, élément nécessaire mais non suffisant pour caractériser le produit multimédia (1), ni de l’œuvre audiovisuelle, à laquelle il manque l’interactivité propre à l’œuvre multimédia (2), ni, de manière générale, de la simple base de données, l’œuvre multimédia emprunte le plus souvent son régime juridique au droit applicable aux œuvres créées par plusieurs auteurs : l’œuvre collective ou l’œuvre de collaboration.

Le Conseil Supérieur de la Propriété Intellectuelle et Artistique relève l’insécurité juridique que procure cette qualification empirique de l’œuvre multimédia qui, mal préparée, peut se révéler périlleuse pour un exploitant confronté à une requalification de l’œuvre concernée.

En effet, si la qualification d’une œuvre à plusieurs en œuvre collective confère, en vertu de l’article L 113-5 du CPI la titularité ab initio des droits à la personne à l’origine de la création de l’œuvre, celle d’œuvre de collaboration laisse aux différents auteurs ayant créé l’œuvre les droits correspondant à celle-ci.

On comprend dés lors que, si les enjeux économiques et financiers attachés à une industrie du multimédia en crise peuvent trouver dans l’œuvre collective une réponse, ils ne peuvent néanmoins se satisfaire d’un risque élevé de requalification, trouvant sa source dans des éléments purement factuels.

C’est l’une des raisons pour laquelle le CSPLA préconise, dans son avis, la création d’un régime juridique propre à l’œuvre multimédia.

2.La mise en place d’un régime sui-generis pour l’œuvre multimédia ?

Le régime préconisé par le CSPLA repose sur une double présomption : l’une relative à la qualité d’auteur et l’autre relative à la cession des droits.

2.1 Présomption de la qualité d’auteur

En droit Français, le principe posé par l’article L113-1 du Code de la Propriété Intellectuelle est celui de la naissance, ab initio, sur la tête de l’auteur personne physique, des droits d’auteur correspondant à l’œuvre créée.

S’agissant de l’œuvre multimédia, le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique suggère l’identification de quatre fonctions créatives et institue, au profit des personnes participant à une ou plusieurs de ces fonctions, une présomption simple de la qualité d’auteur de l’œuvre multimédia.

Les fonctions retenues par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique relèvent :

  • de la réalisation, correspondant à l’activité de direction artistique,
  • de la création du scénario interactif,
  • de la conception graphique,
  • et de la création de la composition musicale de l’œuvre multimédia.

Dès lors, tout « contributeur dont l’apport revêt un caractère déterminant pour l’identité de l’œuvre » (3) sera, jusqu’à preuve du contraire, considéré comme « contributeur déterminant » et admis à ce titre parmi les auteurs présumés de cette œuvre, le caractère déterminant étant apprécié en considération de la participation aux fonctions créatives ci-dessus énoncées.

En conséquence, les droits initiaux sur l’œuvre sont attribués à ces auteurs présumés.

2.2 Présomption de cession de droits

De manière générale, toute cession par l’auteur au profit de l’exploitant d’une œuvre protégée par le droit d’auteur est encadrée, par le Code de la Propriété Intellectuelle, de strictes précautions en faveur de l’auteur.

Ainsi, l’article L131-3 prévoit que :

« la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée ».

Les aménagements portés à ce principe par le Code de la Propriété Intellectuelle lui-même sont rares.

Outre l’œuvre collective, pour laquelle il est prévu qu’elle est « sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle l’œuvre est divulguée » (article L113-5 du CPI), d’autres dispositions dérogatoires concernant :

  • les logiciels créés par un salarié dans le cadre de son contrat de travail (article L113-9 premier alinéa du CPI),
  • les contrats de production audiovisuelle (article L132-24 du CPI),
  • ou les contrats de commande d’œuvres publicitaires (article L132-31 premier alinéa du CPI),

sont également insérées dans le Code de la Propriété Intellectuelle.

Le projet de loi sur le droits d’auteur et les droits voisins dans la société de l’information, destiné à assurer la transposition de la directive 2001/29/CE du 22 mai 2001, voté par l’Assemblée nationale et actuellement en discussion au Sénat, institue également, en revenant sur la solution appliquée jusqu’ici à la suite d’un avis OFRATEME rendu par le Conseil d’Etat le 21 novembre 1972, une cession automatique des droits portant sur les œuvres créées par les agents publics.

C’est dans ce contexte qu’intervient la proposition du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique de mettre en place un système de présomption de cession exclusive des droits en faveur de l’exploitant de l’œuvre multimédia, qui en prend l’initiative et en dirige la création.

Il s’agirait, par le biais d’un contrat écrit mentionnant simplement l’existence de cette présomption, le périmètre de la cession correspondante et la rémunération de l’auteur, d’organiser le transfert de l’ensemble des droits patrimoniaux attachés à l’œuvre pour toute exploitation de l’œuvre dans son domaine d’origine ainsi que « sur ses exploitations hors du domaine du multimédia qui constituent l’accessoire nécessaire de l’exploitation principale » (4).

Cette initiative ne s’opposerait pas, selon le Conseil Supérieur, à l’exploitation distincte, par chacun des auteurs, de leur propre contribution, à condition qu’elle ne concurrence pas l’exploitation de l’œuvre dans son ensemble.

Cette présomption de cession serait applicable aussi bien aux contributeurs déterminants de l’œuvre multimédia ayant la qualité d’auteurs de ladite œuvre qu’aux auteurs d’une contribution spécialement créée pour cette œuvre, qui n’ont, eux, pas cette qualité.

Selon l’avis du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, le bénéficiaire de cette présomption serait « l’opérateur qui prend l’initiative et la responsabilité de la création« , parfois différent du bénéficiaire final de la cession des droits, permettant ainsi de ménager les droits éventuels d’un studio de création intervenant comme intermédiaire entre les auteurs et l’exploitant final.

En outre, ce contrat pourrait viser « toutes les œuvres que l’auteur est susceptible de réaliser dans le cadre de ses fonctions, sans qu’il soit besoin de le renouveler à l’occasion de chaque œuvre » (5).

3. L’impact de cet avis sur les créations de salariés

3.1 Le principe posé par l’avis du CSPLA

L’article L111-1 du Code de la Propriété Intellectuelle prévoit que « l’auteur d’une œuvre de l’esprit jouit sur cette œuvre, du seul fait de sa création, d’un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous« , avant d’ajouter que « l’existence d’un contrat de louage d’ouvrage ou de service par l’auteur d’une œuvre de l’esprit n’emporte aucune dérogation à la jouissance » de ce droit.

Par conséquent, l’employeur souhaitant pouvoir disposer des créations réalisées, dans le cadre de son travail, par l’un de ses salariés, est contraint de recourir à un contrat dont l’objet est d’organiser la cession des droits dudit salarié à son profit.

Or, l’article L131-3 premier alinéa du Code de la Propriété Intellectuelle précise que :

« la transmission des droits de l’auteur est subordonnée à la condition que chacun des droits cédés fasse l’objet d’une mention distincte dans l’acte de cession et que le domaine d’exploitation des droits cédés soit délimité quant à son étendue et à sa destination, quant au lieu et quant à la durée« ,

ce qui implique que tout ce qui n’est pas mentionné expressément dans ce contrat doit être considéré comme exclu de la cession.

Dès lors, la combinaison de ces articles du Code de la Propriété Intellectuelle est à l’origine d’un formalisme exigeant qui contraint employeurs et salariés à multiplier les contrats, avec le risque de l’émergence de nombreux litiges.

C’est la raison pour laquelle le dispositif de présomption de cession imaginé par le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique, qui prévoit la cession de « l’ensemble des droits patrimoniaux« , sans que soit désormais exigé l’énoncé précis et exhaustif de sa consistance et de son étendue (6) revêt une importance juridique et pratique incontestable.

Les difficultés soulevées par cet avis

Cette solution soulève tout d’abord une incertitude relative à sa coexistence, dans le Code de la Propriété Intellectuelle, avec les dispositions de l’article L131-1 du Code de la Propriété Intellectuelle précisant que « la cession globale des œuvres futures est nulle« .

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique propose en effet un mécanisme de cession de « toutes les œuvres que l’auteur est susceptible de réaliser dans le cadre de ses fonctions, sans qu’il soit besoin de le renouveler à l’occasion de chaque œuvre (7) ».

Il y a par conséquent tout lieu de penser que la proposition émise par le CSPLA nécessiterait un sérieux aménagement de ce principe du droit de la propriété intellectuelle, dans les détails duquel le Conseil Supérieur ne s’attarde, pour l’heure, pas.

Ensuite, il est permis de s’interroger sur l’étendue de cette cession automatique. Emportera t-elle le transfert des droits détenus par l’auteur sur le monde entier, pour la durée maximale de protection accordée dans chacun des territoires aux auteurs ?

Enfin, la liberté de l’auteur de recourir, pour la gestion de ses droits, à une société de gestion collective, est-elle menacée par ce mécanisme ?

Le Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique n’apporte, sur ces différents points, aucune réponse précise mais invite les « organisations professionnelles concernées à poursuivre (…) selon les modalités qu’elles jugeront adaptées, l’évaluation des particularités et des besoins spécifiques à leur secteur, afin que le statut de l’œuvre multimédia puisse comporter les adaptations nécessaires, élaborées notamment par voie de conventions sectorielles (8) ».

En dépit des incertitudes que laisse substituer cet avis, il y a tout lieu de penser que les recommandations qu’il émet seront accueillies de manière favorable par les professionnels, en raison, notamment, de la simplification qu’il propose, s’agissant des rapports salarié/employé dans le domaine de la création multimédia.

Il est même permis de s’interroger sur une éventuelle extension de ce système de présomption à toute les œuvres de l’esprit créées par des salariés dans le cadre de leurs fonctions.

Blandine POIDEVIN, Avocat
Chargée d’enseignement à l’Université de Lille 2

Viviane GELLES, Avocat

(1) TGI Nanterre, 26 novembre 1997

(2) CCass 1e Civ, 28 janvier 2003

(3) Avis du CSPLA n° 2005-1, 7 décembre 2005

(4) Avis du CSPLA n° 2005-1, 7 décembre 2005

(5) Idem

(6) Idem

(7) Avis du CSPLA n° 2005-1, 7 décembre 2005

(8) Avis du CSPLA n° 2005-1, 7 décembre 2005